Carrel : essentialisme et destruction

Résumé

Une analyse intégrale de l’univers de sens d’Alexis Carrel dans L’homme, cet inconnu.

Présentation menée dans le cadre du séminaire de Gilles Denis intitulé Sciences et société, Lille-3, M2 Philosophie, 2015-2016.

Introduction

L’homme, cet inconnu1 est un best-seller inclassable. Écrit par un médecin qui fut lauréat du prix Nobel de physiologie ou médecine en 1912, il a suffit à lui seul pour ternir la renommée de son auteur, et voir son nom disparaître des rues2 et des bâtiments officiels3. Ce n’est ni réellement un ouvrage scientifique, ni réellement philosophique. On en retint essentiellement les passages eugénistes – c’est-à-dire, la conclusion du livre – qui ressurgirent dans les débats du début des années 19904. La littérature sur le sujet montre clairement une division entre ceux qui condamnent des citations5 et ceux dont le relativisme tourne à l’apologie, oubliant à leur tour d’autres citations6. Au-delà des passages terrifiants de radicalité et des contemplations mystiques, le livre montre il est vrai peu de choses remarquables. L’abondance de clichés et de préjugés notamment sociaux sont sans doute l’expression d’une écriture fluide ; leur répétition fréquente, voire la contradiction qui réside dans leurs différents usages laisse cependant penser à une écriture peu cohérente, à une collection d’articles, plutôt qu’à un ensemble rigoureusement travaillé, ce qui serait attendu dans tout ouvrage s’inscrivant dans un projet de systématique. Ce n’est pas en suivant, au fil des pages, ce que dit et développe Carrel que nous trouveront le fondement de sa pensée et d’un projet mythologique et politique « à la française ». Beaucoup de points demeurent obscurs au lecteur : l’inclusion d’éléments parapsychologiques, de références au miracle notamment. Nous avons tenté, ici, de mettre bout à bout chacun des éléments qui composent ce livre pour en dégager la structure essentialiste profonde et implicite ; notre analyse posera également la question de la réalisation pratique de ce projet mythologico-politique.

L’homme total

La totalisation scientifique

Quels que soient les chemins qu’il prend, Carrel ne prétends jamais autre chose que d’essayer d’approcher une vision scientifique de l’homme : « celui qui a écrit ce livre n’est pas un philosophe. Il n’est qu’un homme de science »7. Bien qu’il s’exprime historiquement, c’est-à-dire, nous le verrons, face à un déclin de la civilisation et, par extension, de la science, la « vraie » science de l’homme qu’il cherche à atteindre n’est pas fondamentalement historique. L’homme est quelque chose qui s’observe, qui s’expérimente, qui se mesure, et qui se découvre – et c’est d’ailleurs en cela qu’il est inconnu. Il obéit à des lois naturelles. Le développement de la science de l’homme est ainsi la quête d’une essence, et sa méthode la totalisation :

L’homme se compose de la totalité des activités observables actuellement en lui, et de celles qu’il a manifestées dans le passé. Les fonctions qui à certaines époques et dans certains milieux restent virtuelles et celles qui existent de façon constante sont également réelles8

Cette volonté de totalisation suppose le dépassement des dichotomies classiques : ainsi Carrel souligne-t-il les fautes intellectuelles du passé, la création d’un dualisme de l’âme et du corps par Descartes9, les conflits entre mécanisme et vitalisme, entre le quantitatif et le qualitatif, entre l’esprit et la matière ; ainsi procède-t-il à une critique de la fragmentation des connaissances entre différentes spécialités – parmi d’autres, la physique, la médecine, la sociologie, l’éducation – qui ne communiquent pas entre elles. Tous ces égarements font obstacle au développement de la science elle-même, et la rendent inutilisable : « Le nombre immense des données que nous possédons aujourd’hui sur l’homme est un obstacle à leur emploi»10 ; la fragmentation en parties doit être un moyen – inévitable – mais pas une fin : « l’être humain est trop complexe pour être saisi par nous dans son ensemble. Nous ne pouvons l’étudier qu’après l’avoir réduit en fragments par nos procédés d’observation »11, « il faut éviter de tomber dans les erreurs classiques (…) et de croire à l’existence réelle des parties qu’y découpe notre pensée »12. La totalisation implique l’exploration de tous les aspects de la totalité humaine, y compris « les faits inexplicables que les conceptions classiques laissent dans l’obscurité »13 et les « régions de nous mêmes jusqu’à présent inconnues »14. La science est une forme de réflexion pratique de l’homme : par elle, il se retourne sur lui-même, tout en l’utilisant dans un but pratique, c’est-à-dire en l’incluant en lui-même, dans la totalité humaine, comme manifestation de l’activité humaine ; le livre de Carrel se présente comme l’expression même de cette définition : « Pour être utilisable, notre connaissance doit être synthétique et brève »15, l’auteur « s’est donc efforcé d’être court, de contracter en un petit espace un grand nombre de notions fondamentales. (…) Il a tenté d’enfermer l’homme tout entier dans les pages d’un petit livre »16. Le système de l’homme qui transparaît dans la table des matières du livre est une esquisse de cette science de l’homme.

Structure de l’individualité et inégalité humaine

Carrel explore successivement les aspects physiologiques, mentaux et spatio-temporels de l’homme, ses fonctions adaptives et son individualité. Chacune de ces descriptions suit un schéma identique : une forme donnée et individualisée, dotée d’une finalité, s’exprime l’univers à travers la médiation du milieu extérieur et de l’adaptivité individuelle17. Ainsi considère-t-il les cellules et les organes de manière totale – « nous ne devons créer de séparation artificielle ni entre les cellules et leur milieu, ni entre la forme et la fonction »18, « un organe séparé de son milieu n’existe plus »19 – dotées d’une finalité – « La connaissance innée du rôle [que les cellules] doivent jouer dans le tout est un mode d’être des éléments du corps »20, « un organe (…) est produit par des cellules qui semblent connaître l’édifice futur, et qui synthétisent, aux dépens du milieu intérieur, le plan de construction, les matériaux, et les ouvriers »21 – et en relation avec un milieu – « c’est le sang qui, directement ou indirectement, constitue le milieu où vivent toutes les cellules du corps »22, « c’est de l’ajustement réciproque des cellules et de ce milieu que dépendent la santé ou la maladie, la force ou la faiblesse, le bonheur ou le malheur de chacun de nous »23. Le corps, de manière générale, « tend à rendre maximum notre durée »24, grâce à ses fonctions adaptives. Il est en relation avec le milieu extérieur essentiellement par les sens : « la peau est (…) la frontière presque parfaitement défendue, d’un monde fermé. C’est par elle que le corps entre en relation avec toutes les choses de son milieu »25, « de la constitution des organes des sens et de leur degré de sensibilité, dépend l’aspect que prend pour nous l’Univers »26. Cette dialectique de la forme et du milieu fonde l’individualité. Carrel n’hésite pas à utiliser une analogie classique concernant les cellules – « Les cellules forment des sociétés »27, « des cellules, c’est-à-dire des individus »28 ; Canguilhem rappelait29 d’ailleurs, ici à juste titre, que cette analogie montrait à quel point le concept de cellule découlait de celui d’individu. Nous pouvons reprendre ici sa critique, et dire que les théories ne découlent pas des faits, mais d’autres théories. Les cellules agissent entre elles, comme les individus d’une société. L’activité nutritive et reproductrice s’étend du corps entier à la cellule. Comme les individus, elles sont sexuées30, elles diffèrent selon le temps et l’espace – « Dans le vaste monde que constitue l’organisme humain, il y a des pays très variés »31 . Nous avons ici un dérivé d’histoire, de géographie et de racisme :

De même que les animaux, les cellules appartiennent à plusieurs races. Ces races sont déterminées à la fois par des caractères structuraux et par des caractères fonctionnels. Des cellules provenant de régions spatiales différentes (…) montrent des types différents. (…) si on recueille à des moments successifs de la durée, des cellules d’une même région spatiale, on trouve qu’elles constituent aussi des races différentes. L’organisme est aussi hétérogène dans le temps que dans l’espace.32

Si le concept d’individualité demeure d’une importance relativement faible dans le cas des cellules, il est fondamental, et subtil, dans le cas de l’être humain tout entier. L’impératif de totalisation nous oblige à prendre en compte les activités physiologiques et mentales ensemble ; et comme ces activités se situent toutes par rapport au milieu, et que cette dialectique de l’homme et du milieu doit également être vue comme une totalité, cet impératif permet à Carrel de se libérer du problème des caractères héréditaires :

L’originalité de l’être humain dépend donc à la fois de l’hérédité et du développement (…) nous ignorons quelle est la part de chacune d’elles dans notre formation. (…) la part de l’hérédité et celle du développement varient suivant les individus33

Tous les faits observables de l’homme – c’est-à-dire ceux que voit subjectivement le chercheur – trouvent donc, quoiqu’il en soit, un fondement. Carrel fait de très nombreux liens, tout le long de l’ouvrage, entre le corps et les activités mentales, dans un sens ou dans l’autre :

Nous sommes littéralement faits du limon de la terre. C’est pourquoi notre corps et ses qualités physiologiques et mentales sont influencés par la constitution géologique du pays où nous vivons, par la nature des animaux et des plantes dont nous nous nourrissons habituellement34

Les exercices physiques semblent « exciter la pensée »35, l’organisme est doté d’une « conscience viscérale »36 qui influe sur nos impressions et nos émotions. L’alimentation joue, à ce titre, un rôle essentiel, tout comme les fonctions reproductives :

Les glandes sexuelles (…) intensifient aussi nos activités physiologiques, mentales, et spirituelles. (…) Ils donnent aussi à toutes nos fonctions leur caractère d’intensité. Le testicule engendre l’audace, la violence, la brutalité, les caractères qui distinguent le taureau de combat du bœuf qui traîne la charrue le long du sillon. L’ovaire exerce une action analogue (…). La durée moindre de la vie de l’ovaire donne à la femme vieillissante une infériorité manifeste sur l’homme.37

La nervosité des femmes dépend de leur maternité38. Dans l’autre sens, l’état mental influe sur l’état physiologique. « Les manifestations de la vie mentale sont solidaires de l’état de l’encéphale »39, « tous les états de la conscience ont probablement une expression organique »40 ; certaines « maladies sont presque inconnues dans les groupes sociaux où la vie est demeurée plus simple et moins agitée, où l’inquiétude est moins constante »41, vérifiant d’une certaine manière la réalité de l’expression « se faire du mauvais sang ». Le geste est hautement critiquable : pouvoir fonder toutes les expressions humaines, cela revient plus simplement, dans le cas présent, à pouvoir inclure dans un système ce que l’on veut, et dans le sens que l’on souhaite. Carrel peut ainsi se permettre de dire qu’il y a des familles plus nobles que les autres, et que les caractères de cette noblesse font partie de l’essence de leurs descendants, puisqu’ils se sont exprimés des siècles durant au sein des mêmes groupes et dans les mêmes milieux – le sens des influences a donc ici peu d’importance :

Nous gardons avec nous l’empreinte organique, humorale et psychologique de tous les évènements de notre vie. Nous sommes le résultat d’une histoire, comme la terre de l’Europe qui porte sur elle les champs cultivés, les maisons modernes, les châteaux féodaux, les cathédrales gothiques. Notre personnalité s’enrichit de chaque expérience nouvelle de nos organes, de nos humeurs et de notre conscience. Chaque pensée, chaque action, chaque maladie a pour nous des conséquences définitives, puisque nous ne nous séparons jamais du passé42

Le concept de virtualités – vraisemblablement repris de la philosophie aristotélicienne – permet aux qualités, qui tantôt fondent la supériorité d’une race, d’un groupe ou d’un individu, tantôt son infériorité, de voir leur existence maintenue de manière constante et intemporelle – « Tant que les qualités héréditaires de la race seront intactes, la force et l’audace de leurs ancêtres pourront se réveiller chez les hommes modernes »43. De manière générale, c’est l’individualité qui fonde l’inégalité humaine, raciale, et sociale : « Certes, les êtres humains sont égaux. Mais les individus ne le sont pas. L’égalité de leurs droits est une illusion. (…) Les sexes ne sont pas égaux. (…) Il est évident que les inégalités individuelles doivent être respectées »44, « l’homme est le plus résistant de tous les animaux. Et la race blanche, qui a construit notre civilisation, est la plus résistante de toutes les races. (…) La résistance à la maladie, à la fatigue, aux soucis, la capacité d’effort, l’équilibre nerveux donnent la mesure de la supériorité des hommes »45. L’expression optimale d’un être d’essence inférieure est l’infériorité : « ceux qui sont aujourd’hui des prolétaires doivent leur situation à des défauts héréditaires de leur corps et de leur esprit »46

Les activités mentales et le génie

Les inégalités individuelles s’expriment, bien entendu, au niveau physiologique. L’adaptation et la résistance varient selon les individus : on parle alors de la santé naturelle47des individus supérieurs. Elles s’expriment surtout au niveau mental ; Carrel distingue quatre types d’activités mentales. La première est intellectuelle : elle concerne l’intelligence, le raisonnement, et la certitude. Les savants et de manière générale les esprits supérieurs sont l’expression courante de son développement. Le génie récurrent chez Carrel repose beaucoup sur elle : les savants de génie possèdent l’imagination créatrice et l’intuition – « ils saisissent ce qui est caché aux autres hommes, ils perçoivent des relations entre des phénomènes en apparence isolés, ils devinent l’existence du trésor ignoré. Tous les grands hommes sont doués d’intuition. Ils savent sans raisonnement, sans analyse, ce qu’il leur importe de savoir »48 – d’une manière comparable au « sixième sens » des clairvoyants et des télépathes. L’activité morale guide ceux chez qui elle est développée vers un idéal, les « fait distinguer le bien du mal, et choisir le bien de préférence au mal »49 ; son développement est déterminé de manière innée, car elle « vient d’un certain état structural et fonctionnel de notre corps. (…) Chacun de nous naît bon, médiocre ou mauvais »50. L’activité morale augmente l’intelligence et produit l’harmonie sociale51. L’activité esthétique telle que la conçoit Carrel semble être une exaltation de la contemplation52, le comportement contemplatif et créatif – ici, de la beauté et par extension de la contemplation elle-même – étant, une qualité récurrente du génie. L’activité mystique en est voisine : « elle est efficace en elle-même. Elle donne ce qu’il demande à celui qui la pratique. (…) Pour le mystique comme pour l’artiste, la beauté qu’il contemple est la seule vérité »53 ; comme dans la contemplation de la beauté, « grâce à une certaine réalité de sa conscience, l’homme tend vers une réalité invisible qui réside dans le monde matériel et s’étend au-delà de lui »54. De manière générale, toutes les qualités mystiques – contemplation et intuition – sont associées à une sorte d’être supérieur et imprévisible – tantôt savant, tantôt génie, tantôt médecin55, tantôt chef à l’instar de Napoléon ou Mussolini56 – dont la particularité est sûrement que l’expression de leur essence échappe à toute médiation. Ils atteignent directement la réalité des choses, ou la réalité voulue. Ils sont l’adéquation incarnée : le savant de génie voit directement ce qu’il faut observer, les guérisseurs par l’harmonie mentale de leur prière réalisent l’harmonie des corps environnants57, les grands conducteurs de peuples, conquérants58 de leur milieu et de l’univers, mènent la volonté du monde par leur volonté individuelle.

Il reste bien des aspects que, faute de place, nous nous pouvons développer ici. Nous n’avons que brièvement mentionné le rapport au temps, auquel est pourtant consacré tout un chapitre dans le livre. Notre but est avant tout la compréhension de la structure implicite de la pensée de Carrel, et nous pensons en avoir donné ici les éléments essentiels à sa compréhension.

Déclin et rénovation

Le déclin de la civilisation moderne

L’ouvrage se conçoit lui-même comme une réponse au déclin59 de la civilisation. C’est presque un manifeste : « Beaucoup aujourd’hui désirent échapper à l’esclavage des dogmes de la société moderne. C’est pour eux que ce livre a été écrit. (…) pour les audacieux qui envisagent la nécessité, non seulement de changements politiques et sociaux, mais du renversement de la civilisation industrielle, de l’avènement d’une autre conception du progrès humain. (…) En somme, à chaque homme et à chaque femme »60. Le déclin fait l’objet de longues descriptions, étalées sur un grand nombre de pages et disséminées dans différents chapitres. Mises bout à bout, ces descriptions montrent les thèmes récurrents et variés de la critique de Carrel : la technique, l’aliénation, l’industrialisation et la prolétarisation, le groupement en masse des individus, la standardisation, la vie facile et le confort, les loisirs, le développement de la vitesse et du temps réel, le capitalisme et la criminalité financière, la liberté sociale et la disparition des traditions. On peut plus ou moins, en rassemblant ces exemples, dresser une « imagerie » du déclin61. Le déclin s’articule presque systématiquement avec un paradis perdu ancestral, un passé révolu par la civilisation industrielle. Si sa description est moins courante que celle de la civilisation moderne, elle semble être tout autant dans l’esprit de l’auteur l’expression d’une vision précise d’un ensemble historique, politique, et social bien défini.

Le mouvement général de la civilisation moderne, en tant qu’il est celui du déclin, entraîne le développement de toutes les potentialités vers le bas. Au plan physiologique, le confort moderne – la température stable du chauffage, les vêtements perfectionnés, les habitats et les lieux de travail sains – affaiblit considérablement le rôle des fonctions adaptives. L’individu n’est plus exposé aux intempéries, aux conditions climatiques rudes. Le développement de la vitesse lui permet une baisse de l’effort physique, que le golf ou l’athlétisme ne peuvent compenser. Le développement de la santé artificielle remplace peu à peu la santé naturelle. L’aide apportée aux plus faibles, la démocratie62 et l’éducation de masse63 permettent aux caractères inférieurs de subsister et de prospérer, tandis que les caractères supérieurs sont étouffés par le milieu de manière général – c’est un « nivellement par le bas ». La sélection naturelle n’opère plus. Les activités intellectuelles sont affaiblies et égarées par la fragmentation des connaissances et le triomphe des sciences de l’inanimé au détriment des sciences du vivant et de l’homme. Les activités morales et mystiques n’existent plus : les enfants admirent plus les films de Chaplin et les exploits de Babe Ruth que les grands chefs et conquérants64, les pasteurs rationalisent la religion, les églises sont vides, les monastères n’accueillent plus personne, la morale sexuelle est bannie par l’homosexualité et les psychanalystes65. Le caractère général de l’homme moderne est la perte de son individualité, c’est-à-dire de sa personnalité, par l’uniformisation dans la médiocrité et l’infériorité. Dans une analogie biblique, Carrel conçoit l’homme moderne comme le résultat d’un viol des lois naturelles :

L’homme moderne est le résultat de son milieu, des habitudes de vie et de pensée que la société lui a imposées. (…) Seuls, nous sommes coupables. Nous avons enfreint les lois naturelles. Nous avons ainsi commis le péché suprême, le péché qui est toujours puni. Les dogmes de la religion scientifique et de la morale industrielle sont tombés devant la réalité biologique. La vie donne toujours la même réponse à ceux qui lui demandent ce qui lui est interdit. Elle s’affaiblit. (…) Les sciences de la matière inerte nous ont conduits dans un pays qui n’est pas le nôtre. (…) L’individu est devenu étroit, spécialisé, immoral, inintelligent, incapable de se diriger lui-même et de diriger ses institutions.66

Le paradis perdu des ancêtres

Le paradis perdu prend des aspects divers. Le plus étonnant est son anhistoricité. Les références à l’Antiquité et au moyen-âge sont courantes. L’harmonie du corps était idéale chez les athlètes grecs du temps de Périclès67 ; les chefs d’autrefois mangeaient différemment des esclaves68, le jeûne imposé par la disette, la volonté et la morale religieuse offrait ses bénéfices69 ; la brutalité climatique fortifiait le légendaire Yankee70, tandis que Bertrand du Guesclin développait sa force et sa résistance légendaires71 l’homme de la Renaissance était un conquérant, doublé d’un savant et d’un artiste de génie72 ; la morale et la mystique excellait dans les saints honorés par l’Église catholique73. Bonaparte savait son histoire et lisait Plutarque74 ; le sens du sacrifice – forme d’exaltation morale – existait : « Nous sommes parvenus à conserver pendant tout le moyen âge, les restes de la culture antique. Au cours des longs siècles obscurs, notre sang a ruisselé de toutes parts pour la défense de la chrétienté. (…) Nous avons réussi à échapper au sommeil de l’islamisme »75. Les temps passés étaient ceux de la richesse foncière76, de la paysannerie77, de la ruralité des petites villes et des villages78. La variété des références pose un problème lorsque, mises bout à bout, elles donnent lieu à une mythologie curieuse. Ainsi, les bénéfices de l’exposition au froid et aux intempéries – face auquel le corps est si bien fait que l’individu semble ne jamais en mourir – le montagnard américain et l’homme primitif grimpant aux arbres et montant les rochers côtoie les femmes et « l’effort qu’elles faisaient en montant et descendant continuellement l’escalier de leur maison, en accomplissant leurs travaux domestiques sans l’aide de machines, en circulant à pied dans les rues »79. Carrel étant né en 1873, il semble surtout que ce soit, outre les références légendaires antiques et médiévales qui concernent presque exclusivement les grands hommes, le temps de sa propre jeunesse qui constitue l’âge d’or révolu : celui où il y avait plus de paysans et moins de prolétaires, où il y avait encore des religieux et des croyants, où les femmes respectaient leur position sociale, et où le pacifisme n’existait pas. A l’opposé du mouvement général du déclin, on l’aura compris, l’âge ancestral est celui du développement, accordons-le, disparate et fragmenté, de l’essence des individus supérieurs.

La rénovation et la reconstruction de l’homme

Le projet de rénovation qui répond au déclin est largement inspiré par cet âge d’or ancestral. Le but est le développement optimal des virtualités de l’individu. Carrel propose l’optimisation de la constitution physique par des substances chimiques80, le développement maximal des mécanismes de l’adaptation par des états physiques et mentaux appropriés, c’est-à-dire en plaçant des écoles d’élite dans des régions au climat hostile81. Une modification de l’alimentation82 – activité nutritionnelle – et une mise au point sur les rôles sexuels s’impose également83 – activité reproductrice. Si l’interdiction de l’homosexualité et de toute manifestation d’une tendance du sexe opposé va de soi dans un tel projet, une éducation spécifique aux filles en vue de leur rôle maternel futur et du choix de leur mariage est aussi préconisée, ainsi que l’idée d’un certificat prénuptial relatif aux tares héréditaires que pourrait prolonger l’union. L’éducation joue ici un rôle primordial dans le développement des activités mentales. L’école de masse doit laisser sa place à l’éducation parentale, le reste s’inspirant selon les activités des écoles militaires ou des monastères médiévaux. Carrel pose également beaucoup d’espoirs sur le dressage et le conditionnement de type militaire84, pour pallier à l’imprévu et donner à l’adaptation le pouvoir de tout surmonter :

On ne souffre pas de la privation de nourriture et de sommeil que demande une expédition dans un pays inconnu. La souffrance physique se supporte aisément si elle accompagne le succès d’un long effort. La mort elle-même devient souriante quand elle s’associe à une grande aventure, à la beauté du sacrifice, ou à l’illumination de l’âme qui s’abîme dans le sein de Dieu85

L’éducation, le changement des habitudes et les modifications du milieu s’accompagnent d’un projet social, politique et eugéniste. La démocratie doit être supprimée – elle proclame l’égalité des inégaux – au profit de l’instauration dans un premier temps, d’une aristocratie non héréditaire86, puis, en but ultime, d’aristocratie biologique héréditaire87, selon les considérations de Carrel sur les fondements individuels sur l’inégalité humaine, raciale et sociale. L’esprit de sacrifice fonde l’eugénisme volontaire : les porteurs de tares héréditaires doivent renoncer à se marier88 ; ce caractère volontaire – souvent repris dans des intentions apologistes – est cependant tout relatif, lecture faite du paragraphe le plus radical de tout l’ouvrage :

Les anormaux empêchent le développement des normaux. (…) Pourquoi la société ne disposerait-elle pas des criminels et des aliénés d’une façon plus économique ? (…) elle doit se protéger contre les éléments qui sont dangereux pour elle. Comment peut-elle le faire ? (…) que par une meilleure connaissance de l’homme, par l’eugénisme, par des changements profonds de l’éducation et des conditions sociales. Mais en attendant, nous devons nous occuper des criminels de façon effective. (…) Le conditionnement des criminels les moins dangereux par le fouet, ou d’un quelque autre moyen plus scientifique, suivi d’un court séjour à l’hôpital, suffirait probablement à assurer l’ordre. Quant aux autres, ceux qui ont tué, qui ont volé à main armée, qui ont enlevé des enfants, qui ont dépouillé les pauvres, qui ont gravement trompé la confiance du public, un établissement euthanasique, pourvu de gaz appropriés, permettrait d’en disposer de façon humaine et économique. Le même traitement ne serait-il pas applicable aux fous qui ont commis des actes criminels ? Il ne faut pas hésiter à ordonner la société moderne par rapport à l’individu sain89

Le rôle du génie est également important. Ils échappent à toutes les mesures eugéniques90, sont imprévisibles, mais peuvent provoquer l’impulsion nécessaire au renouveau de la société. Ce sont les médecins – et leur don de clairvoyance – qui auront la capacité de voir les virtualités individuelles, et donc les directions dans lesquelles l’orienter pour son plein développement. Ce seront les grands chefs et ceux qu’on pourrait enfin nommer des prophètes qui pourrons amener la masse vers la voie du renouveau : « une minorité ascétique et mystique acquerrait rapidement un pouvoir irrésistible sur la majorité jouisseuse et aveulie. Elle serait capable, par la persuasion ou peut-être par la force, de lui imposer d’autres formes de vie »91. Le présent livre joue aussi son rôle : tout le projet de rénovation repose sur la nouvelle « science de l’homme ». Une idée constante de Carrel est celle du savant éternel : une science aboutie demanderait le dépassement de la vie elle-même, c’est-à-dire d’une institution qui « se perpétuerait lui-même indéfiniment », dont les « idées resteraient toujours jeunes » composée d’une élite réduite – les génies transparaissent une nouvelle fois à travers le texte – dont les membres se « contenteraient de contempler les phénomènes » dans « leur méditation silencieuse ». Ce « cerveau immortel »92 serait le gardien « du corps et de l’âme d’une grande race dans sa lutte tragique contre les sciences aveugles de la matière ». Ils seraient, comme les clairvoyants, indépendants de l’espace et du temps ; tout l’intérêt de Carrel pour la « métapsychique » de Richet, les miracles et les « dimensions inconnues » de l’homme doit se comprendre, semble-t-il, dans ce but précis. « Quelle pénétration aurait celui qui serait doué en même temps d’une intelligence disciplinée et d’aptitudes télépathiques ! »93

Structure générale et faillite du système de Carrel

Le schéma fondamental de Carrel pour décrire l’homme total repose sur la réalisation des virtualités d’une essence individuelle dans l’univers. La présence de dialectique dans ce système n’est qu’une apparence. Le mouvement est purement unidirectionnel : il s’agit d’une essence éternelle dont la réalisation est corrompue ou empêchée par ce qui n’est pas elle. C’est l’histoire d’un mythe éternel qui lutte contre la réalité qui lui est étrangère. Soulignons ici, d’après les formes que prennent les paysages du déclin et de l’ancestralité, le manichéisme et l’absence de contradictions. Il faut détruire tout ce qui nuit au développement positif de l’élite. La lutte contre les conditions rudes n’est pas une dialectique entre l’individu et son milieu, mais la domination immanente de l’élite sur l’Univers. La négativité pour l’élite est représentée par la faiblesse et les faibles – de la race humaine ou de la civilisation humaine – qui entravent cette domination immanente. L’essence individuelle et éternelle de l’homme n’est pas une abstraction au sens où le cube serait une forme pure et universelle de tous les cubes concrets – l’un comme l’autre ne pourraient d’ailleurs être ni éternels ni anhistoriques puisqu’ils sont abstraits ou concrétisés à un moment précis dans l’histoire – mais est bien plutôt un mythe. La notion d’individualité justifie qu’il ne soit pas universel : c’est un mythe essentiellement composé de références classiques de la culture occidentales et d’une imagerie traditionnelle souvent issue de l’extrême droite française et catholique. L’universalité de l’homme est, dans cette vision du monde, l’aboutissement du développement de l’élite : le moment où le seul type d’individu possible, où l’homme normal sera exclusivement l’élite. C’est la conquête aboutie de l’Univers par les supérieurs. Quoiqu’il en dise dans sa conclusion, c’est cet aboutissement logique qui explique le projet de Carrel. Il découle naturellement du schéma de base. Le développement des inférieurs entraîne l’infériorité, celui des supérieurs la supériorité. Il est dans l’intérêt vital des intermédiaires de ne pas s’affaiblir plus – par l’eugénisme volontaire par exemple – et des supérieurs d’éliminer la faiblesse qui les retarde ou les paralyse – par les moyens directs ou indirects que l’on a vus plus haut. Le résultat, vu comme un processus, consiste en l’élimination des individus et des groupes qui sont par essence inférieurs et dans l’extinction certaine – des plus supérieurs prendront leur place au fur et à mesure – des intermédiaires. Cette réalisation pratique de la mythologie dans un monde qui n’est fondamentalement pas mythologique, nous le verrons, n’a que la destruction pour seul aboutissement.

Le projet mythologico-politique

Le projet de Carrel est mythologico-politique : il se conçoit comme une réponse au monde moderne et à la dégenerescence qu’il engendre. C’est un projet de rénovation avec des propositions plus ou moins concrètes – mesures eugéniques, idées sur le parcours et les structues éducatives ; Carrel ne se contente pas de dire ce vers quoi il faut aller : il expose une série de premières mesures pour, si ce n’est y arriver, du moins se mettre en bonne voie pour y parvenir. Il est politique : il touche à la société entière, si ce n’est au monde ou à l’univers lui-même – le développement scientifique qui est recherché changerait de fait l’étendue de notre action, et le développement optimal des sens et de la conscience changerait notre vision de l’Univers sur lequel nous agissons. Son autre versant est mythologique. La rénovation est un « retour » du paradis perdu, ou du moins un renouveau fondé sur un ensemble de stéréotypes et d’abstractions tenant du mythe. Nous pouvons prendre, comme élément de comparaison, l’exemple de l’antisémite : il suppose un monde de l’antisémite dans lequel ses rapports au monde, sa situation – c’est-à-dire la manière dont il se situe lui-même et situe les choses et les autres – prennent sens ; un tel monde est composé de stéréotypes, d’entités intemporelles et fixes. L’antisémite fait l’antisémite : il s’inscrit dans une lutte raciale, dans une vérité sanguine ou ancestrale ; il fait le Juif : le champ de possibilité de tout juif est limité à celui du Juif de l’antisémitisme, du cliché de propagande, de l’opinion commune. En somme, dans le cas de l’antisémite, le Juif, l’Antisémite, l’Aryen, l’Ennemi, sont des images fixes, des êtres desquels on apprend rien, qui n’offrent rien de plus que ce que ceux qui les considèrent y ont déjà mis : le juif est déjà constitué comme Juif, et ne peut pas devenir autre chose, il n’apparaît ni ne disparaît. C’est ainsi que l’on peut dire que, au niveau temporel, le monde de l’antisémite est sur le mode de l’aurant-toujours-été94 : ses entités y sont signifiées comme ayant-toujours-été, et leur signification future en sera de même. C’est cette dimension temporelle qui confère à ce monde son caractère mythologique.

La comparaison est ici intéressante car, si dans son livre Carrel ne tient pas de propos antisémites, les entités qui composent son paradis perdu sont sur le même monde ; il n’est ainsi pas étonnant que Du Guesclin, Napoléon, et la seconde moitié du XIXe siècle se côtoient sans le moindre problème de décalage historique. L’entité du génie – quel que soit son domaine – relie dans un système fondamental et intemporel Mussolini et César.

Il est également remarquable que dans sa forme la plus pure, l’antisémitisme prend l’allure d’une destruction de la négation. Le Juif se montre comme une corruption de l’être-véritable du monde – jusqu’à falsifier, potentiellement, tout l’être de ce monde. Les antisémites sont un peu, eux aussi, des voyants de la race qui lutte éternellement contre la Juiverie : ainsi Drumont a-t-il le privilège de voir la marque du Juif derrière la crue de la Seine95. Dans le schéma Carrelien, la forme est plus ambigüe : l’être-véritable – l’essence intemporelle de l’individu – trouve là aussi un obstacle dans la négation – ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire ici tout ce qui est extérieur et contre quoi il lutte. On ne peut pas vraiment parler de corruption, dans le sens où le milieu malsain de la vie moderne ne corrompt pas la personnalité de l’individu supérieur, mais l’empêche plus subtilement d’être exprimée correctement. S’il y a bien, nous l’avons vu, des passages où le rôle du milieu est donné comme déterminant, le reste de l’ouvrage nous porterait plutôt à croire le contraire. Carrel choisit ses vérités96 en fonction du sens qu’il veut faire passer – et ce sens, nous l’avons dit, est fixé par un ensemble d’abstractions intemporelles, par un univers de sens assez proche de celui d’un réactionnaire ou d’un traditionnaliste. Ainsi faut-il montrer « scientifiquement » que c’est la terre qui fait l’individu : le milieu a une influence profonde sur la personnalité ; ainsi faut-il prouver que, malgré la standardisation et l’uniformisation de la vie moderne, il y a des individus supérieurs et inférieurs : la personnalité devient une essence indépendante du milieu qui ne trouve en ce dernier qu’un obstacle à sa propre expression. Cette dernière vision prédomine dans tout l’ouvrage, car elle est à la base du projet de rénovation, qui deviendrait beaucoup plus incertain dans l’autre cas. L’usage du concept de caractère héréditaire trouve son sens par rapport à l’univers de sens réactionnaire de Carrel : il sert de support « scientifique » à une vision du monde faite d’entités éternelles et abstraites.

Le projet de Carrel, disions-nous, a une destructivité ambigüe : si la réduction des obstacles est assez facile à comprendre au fil des pages de L’Homme, cet inconnu, leur destruction radicale n’apparaît qu’en toute fin. C’est sur ce point que peut jouer celui qui chercherait à faire l’apologie de la rénovation carrélienne. En pratique, la théorie essentialiste est en réalité fondamentalement destructrice. Des exemples contemporains au livre en question peuvent nous éclairer sur cette subtilité de la réalisation pratique des univers de sens mythologiques.

La réalisation pratique de la mythologie politique

La situation concrète visée par une politique mythologique comme celle que nous venons de décrire, c’est l’équation pragmatique, la « coïncidence du monde réel et du modèle »97. Cette situation existait à l’époque en Allemagne sous le régime nazi – grâce entre autres, nous allons le voir, aux médias du temps réel et à l’effectivité quotidienne de la propagande qu’ils permettent – comme le notait Günther Anders : « la différence entre le Juif véritable et le stimulus diffusé par la propagande n’existait tout simplement pas »98. L’identification des individus d’avec des valeurs ou des essences mythologiques était continuellement accomplie par la multitude de significations quotidiennes et d’apparence anodines que ces derniers incluaient à leur interprétation du monde, des autres, et d’eux-mêmes – ce sont les « mille piqûres de moustiques »99 de la LTI pour reprendre l’analyse de Klemperer100. Il serait intéressant de parvenir à une analyse du rapport des individus à la réalité en France, notamment sous l’occupation et le régime de Vichy, afin de déterminer si cette situation d’équation pragmatique pouvait y avoir lieu. L’apparition du temps réel – avec la radio – a en effet provoqué un renversement du réel : l’expérience du monde et de la réalité devient expérience d’un monde médiatisé, et cette expérience a perdu le caractère explicite de la médiation qui en est à l’origine – le contenu est sélectionné, bien qu’il donne l’illusion d’apporter le monde directement au lieu d’écoute. L’interprétation du monde et de la réalité se fausse en s’alignant sur un contenu déjà jugé et déjà interprété – par exemple, par le journaliste. Pour ainsi dire, les significations du réel adoptent la structure de celles de l’Univers de sens mythologique. Cette situation fut largement favorisée en Allemagne par la politique de développement des Volksampfänger ; en France, le parc des récepteurs radio a connu lui aussi un essor durant l’entre-deux-guerres : six foyers sur dix en sont équipés en 1939101, soit autant que dans les foyers allemands en 1941102 pour un nombre d’habitant moindre en France qu’en Allemagne. La possibilité d’un renversement du réel, et donc d’une pratique mythologique en France à l’instar de celle observée en Allemagne nazie était donc loin d’être incongrue à la fin des années 1930 et pendant la guerre.

L’aboutissement destructeur d’une telle pratique ne fait aucun doute. Raul Hilberg situe l’origine directe de l’acte de destruction industrielle des camps d’extermination – soit fin 1941 et début 1942 – dans l’acte de définition de 1933 : le premier est contenu en germe dans le second103. Dans une situation où la réalité et son interprétation s’alignent sur une signification appauvrie et fermée – on ne peut rien apprendre de plus que ce qui a déjà été « mis » dans la réalité renversée – une multitude de singularités – c’est-à-dire de négations – se perdent ; l’individu traite avec des individus mutilés, et si l’individualité d’un autre disparaît de son univers de sens – l’aboutissement d’une politique progressive d’exclusion est la disparition totale de certains individus de la sphère sociale – alors il l’anéantit purement et simplement, comme pour éliminer la négation de la réalité. Une exclusion progressive des individus définis comme inférieurs et une inclusion favorisante des individus considérés comme supérieurs au sein d’un groupe prenant essentiellement son sens dans un univers mythologique aurait donc tout aussi bien pu aboutir à la même chose en France, si d’autres conditions objectives avaient été réunies. Au-delà du fait qu’il n’y a eu aucune politique française en ce sens sur une période suffisamment longue – les quelques années de pouvoir du régime de Vichy sont sûrement bien moins efficaces que dix ans de politique raciale en 1943104 –, la position de Carrel se trouve confrontée à une série de limites objectives.

Obstacles pratiques au projet carrelien

Carrel a passé une bonne partie de sa vie aux Etats-Unis : il y a obtenu son prix Nobel en 1912105, et y a écrit et bien vendu L’homme, cet inconnu106. Il reçoit peu de sympathie de la part du milieu médical français107 : c’est un isolé vivant hors de France, ayant finalement moins d’influence que de gloire à son actif. L’arrivée au pouvoir de Pétain fut pour lui une opportunité à saisir : son goût de la rénovation face à la décadence lui a sûrement paru proche de l’idée de révolution nationale, et l’arrivée de « polytechniciens et autres “hommes de l’élite” qui aspirent à gouverner scientifiquement »108 dans le gouvernement Darlan ne pouvait que l’enthousiasmer par rapport à son projet de biocratie, d’une rénovation scientifique de la civilisation. Si Carrel fut effectivement proche d’organisations comme l’Action française et du Parti Populaire Français109 de Jacques Doriot, sa réelle entreprise pratique eut lieu au sein de la Fondation Française pour l’Etude des Problèmes Humains (FFEPH), véritable institution civile crée en 1941 par son idée et son impulsion110. Mais même la FFEPH fut confrontée à des problèmes d’ordre pratique : le manque de moyens – si son budget était conséquent, les locaux manquaient et furent disputés à d’autres – ou de chercheurs111 ; la Fondation se retrouve isolée en zone Nord, rendant difficile une réelle coopération avec Vichy comme avec d’autres groupes de chercheurs, peu envieux il est vrai de travailler avec Carrel112. S’il en occupe le poste de régent, il se verra tout de même confronté à des luttes internes d’influence. En fin de compte, la Fondation n’aura en rien changé le problème de la fragmentation des connaissances scientifiques auquel elle voulait remédie – d’après le projet dont elle est inspirée. Elle fera malgré tout de nombreuses études en matière de démographie, de natalité et d’immigration – ce qui explique peut-être sa succession par l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques) – en 1945.

L’homme, cet inconnu comme objet de recherche

Carrel constitue ainsi un objet d’étude très intéressant concernant la réalisation d’un projet « mythologico-politique » dans la France de Vichy : son projet comprend à la fois la « couche mythologique » et la « couche pragmatique » – c’est-à-dire « la philosophie de l’efficacité et du succès, de la mécanisation et de la rationalisation »113 – que Marcuse avait su déceler assez tôt dans la « nouvelle mentalité allemande » en 1942. Le projet carrelien séduisant mais creux114 de totalisation des connaissances et son usage récurrent du concept opérationnel illustrent bien cette rationalisation appréciée des mouvements fascistes, tandis que la structure essentialiste de l’homme total, composée de ce qui est une « imagerie » du paradis perdu et du déclin rappelle le catalogue de Drieu la Rochelle dans Gilles115 et les discours plus traditionalistes, l’antisémitisme en moins. Cette capacité à former potentiellement une fusion de deux courants qui ne s’entendent pas toujours s’est, semble-t-il, vue marginalisée par l’isolement de Carrel dans les milieux français, et peut-être aussi par sa lourde insistance dans la dernière partie de sa vie sur les thèmes de la « métapsychique » et des miracles, sujets peu partagés par ses pairs. Carrel est ainsi plus intéressant à étudier comme théorie que comme pratique : même si certaines conditions étaient réunies, nous l’avons vu, pour la réalisation d’un projet mythologico-politique en France dès les années 1930, la « synthèse carrelienne » entre mythologie et rationalisation n’avait, en tant que projet particulier, aucune chance d’aboutir : aussi bien du fait de la situation de son auteur que de la situation d’une société où l’influence de l’eugénisme, du fascisme, du traditionnalisme est assez relative dans les années 1930 ; si cette idée de rénovation suscita un plus grand intérêt au moment du régime de Vichy, ce ne fut jamais que dans un contexte de guerre et dans la situation spécifique d’un Etat collaborationniste.

Annexe 1

Figure représentant la réalisation de l’essence individuelle à travers la médiation de l’extérieur dans le système de Carrel

Notre schéma cherche à montrer comment s’articulent les différents éléments du système de « l’homme total » de Carrel autour du mouvement unidirectionnel de la réalisation de l’essence individuelle à travers la médiation du milieu et de l’adaptation. L’individualité se réalise dans l’extérieur par les activités humaines qu’elle déploie, et ces activités et ces développements selon leur orientation vers la supériorité ou l’infériorité de l’homme réduisent ou accroissent la force du milieu qui s’oppose à l’individu, que ce dernier s’emploie à conquérir par le biais de ses fonctions adaptives.

Bibliographie

Textes d’Alexis Carrel

- CARREL Alexis, L’homme, cet inconnu, Paris, Plon, 1976, 380 p. (Première parution en 1935)

Sur Alexis Carrel

- DROUARD Alain, Alexis Carrel (1873-1944) : de la mémoire à l’histoire, Paris, l’Harmattan, 1995

- SOUPAULT Robert, Alexis Carrel : 1873-1944¸Paris, Plon, 1952, 314 p.

- TORT Patrick et BONNAFE Lucien, L’homme cet inconnu ? Alexis Carrel, Jean-Marie Le Pen et les chambres à gaz, Paris, Syllepse, 1996

Autres ouvrages cités

- ANDERS Günther, L’obsolescence de l’homme : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, 1956, Trad. de l’allemand par Christophe David, Paris, Encyclopédie des nuisances, coll. Ivrea, 2002

- CANGUILHEM Georges, La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 2009

- CHEVASSUS-AU-LOUIS Nicolas, Savants sous l’occupation : enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944, Paris, éd. du Seuil, 2004

- DRUMONT Édouard, Sur le chemin de la vie (souvenirs), Paris, G.Crès, 1914

- FAVRE Muriel, La propagande radiophonique nazie, Bry-sur-Marne, INA Éditions, 2014

- HILBERG Raul, La destruction des Juifs d’Europe, t.1, trad. de l’anglais par Marie-France de Paloméra, André Charpentier et Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Gallimard, 2006

- KLEMPERER Victor, Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942-1945, Paris, Seuil, 2000

- KLEMPERER Victor, LTI, la langue du IIIe Reich : carnets d’un philologue, trad. de l’allemand par Elisabeth Guillot, Paris, Albin Michel, 1996, 375 p. (EO : LTI Notizbuch eines Philologen, Berlin, Aufbau-Verlag, 1947)

- MARCUSE Herbert, The New German Mentality in Technology, war and fascism, Taylor & Francis e-Library, 2004

- WELZER Harald, Les exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse, trad. de l’allemand par Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, 2007

- WINOCK Michel, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, éd. du Seuil, 2004, 416 p.

Articles

- FROMENTIN Bernard, « A Lyon, la fac de médecine ne s’appellera plus Alexis Carrel », Libération, 27 janvier 1996 [disponible en ligne à http://www.liberation.fr/france-archive/1996/01/27/a-lyon-la-fac-de-medecine-ne-s-appellera-plus-alexis-carrelle-nom-du-prix-nobel-eugeniste-suscitait-_158950 (consulté le 24/01/2016)]

- TETART Philippe, « la radio conquiert l’oreille des français » [en ligne à http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=520 (consulté le 25/01/2016)]

- TORT Patrick, « A.Drouard, une inconnue des sciences sociales : la fondation Alexis Carrel, 1941-1945 [compte rendu] », L’Homme, 1994, vol. 34, n°131, p. 162-164 [disponible en ligne à http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1994_num_34_131_369793 (consulté le 24/01/2016)]

- WESKLER Marc E., « Les rues de Paris : “l’affaire Alexis Carrel” », M/S : Médecine sciences, vol. 20, n°6-7, juin-juillet 2004, p. 707-709 [disponible en ligne à http://www.erudit.org/revue/ms/2004/v20/n6-7/008693ar.html (consulté le 24/01/2016)].

Travaux universitaires

- GOSSART Paul, Séparation et réduction du monde : la propagande radiophonique nazie. Mémoire : Philosophie. Lille : Université Lille-3, 2015, 1 vol. (Disponible en libre consultation : Université Lille-3, Bibliothèque Philosophie, cote “Mém. 1146”).


  1. CARREL Alexis, L’homme, cet inconnu, Paris, Plon, 1976, 380 p. (Première parution en 1935) ↩︎

  2. On disait en 2003 que la dernière rue Alexis Carrel avait été débaptisée (voir WESKLER Marc E., « Les rues de Paris : “l’affaire Alexis Carrel” », M/S : Médecine sciences, vol. 20, n°6-7, juin-juillet 2004, p. 707-709 [disponible en ligne à http://www.erudit.org/revue/ms/2004/v20/n6-7/008693ar.html (consulté le 24/01/2016)]). En vérité, une simple recherche internet aujourd’hui nous montre qu’il en existe toujours. ↩︎

  3. La faculté de médecine de Lyon a été renommée en l’honneur de Claude Bernard en 1996 (voir FROMENTIN Bernard, « A Lyon, la fac de médecine ne s’appellera plus Alexis Carrel », Libération, 27 janvier 1996 [disponible en ligne à http://www.liberation.fr/france-archive/1996/01/27/a-lyon-la-fac-de-medecine-ne-s-appellera-plus-alexis-carrelle-nom-du-prix-nobel-eugeniste-suscitait-_158950 (consulté le 24/01/2016)]). ↩︎

  4. Le débat sur Carrel a été amorcé par l’usage de ses écrits par le Front National en 1991 dans un débat contre les Verts, lorsque Bruno Mégret a tenté de le présenter comme « le premier français vraiment écologiste » ; parurent alors les premiers ouvrages critiques sur le sujet (voir note 5). ↩︎

  5. On citera parmi d’autres le livre de Patrick Tort et Lucien Bonnafé, faisant le lien entre Carrel et l’usage des chambres à gaz par les nazis (TORT Patrick et BONNAFE Lucien, L’homme cet inconnu ? Alexis Carrel, Jean-Marie Le Pen et les chambres à gaz, Paris, Syllepse, 1996), qui se concentre plus sur les conclusions eugénistes que sur l’ouvrage pris dans son ensemble. ↩︎

  6. La seule biographie disponible fut longtemps celle écrite par Robert Soupault, oubliant la conclusion eugéniste de L’homme cet inconnu dans son exposé (SOUPAULT Robert, Alexis Carrel : 1873-1944¸Paris, Plon, 1952, 314 p.). La partialité de l’ouvrage s’explique sûrement par le fait que Soupault fut, aux côtés d’autres médecins comme Charles Claoué et François Magnan, membre de la section scientifique du « Groupe collaboration » créé en 1940 par Alphonse de Châteaubriant (voir CHEVASSUS-AU-LOUIS Nicolas, Savants sous l’occupation : enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944, Paris, éd. du Seuil, 2004, p. 55.). La publication de celle d’Alain Drouard mit fin à cette situation (DROUARD Alain, Alexis Carrel (1873-1944) : de la mémoire à l’histoire, Paris, l’Harmattan, 1995), mais les travaux de ce dernier furent également accusés de faire une apologie douteuse de l’eugénisme de Carrel par Patrick Tort (voir TORT Patrick, « A.Drouard, une inconnue des sciences sociales : la fondation Alexis Carrel, 1941-1945 [compte rendu] », L’Homme, 1994, vol. 34, n°131, p. 162-164 [disponible en ligne à http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1994_num_34_131_369793 (consulté le 24/01/2016)]). ↩︎

  7. Ibid., p. 31. ↩︎

  8. Ibid., p. 167. ↩︎

  9. Ibid., p. 331 ↩︎

  10. Ibid., p. 33. ↩︎

  11. Ibid., p. 106. C’est une référence à la deuxième règle de la méthode de Descartes. ↩︎

  12. Ibid., p. 107. ↩︎

  13. Ibid., p. 331. ↩︎

  14. Ibid., p. 331. ↩︎

  15. Ibid., p. 33. ↩︎

  16. Ibid., p. 34. ↩︎

  17. Voir Annexe 1 ↩︎

  18. Ibid., p. 118. ↩︎

  19. Ibid., p. 117. ↩︎

  20. Ibid., p. 153. ↩︎

  21. Ibid., p. 155. ↩︎

  22. Ibid., p. 124. ↩︎

  23. Ibid., p. 126. ↩︎

  24. Ibid., p. 243. ↩︎

  25. Ibid., p. 112. ↩︎

  26. Ibid. ↩︎

  27. Ibid., p. 119. ↩︎

  28. Ibid. ↩︎

  29. Voir CANGUILHEM Georges, La connaissance de la vie, p. 78-79. ↩︎

  30. CARREL Alexis, op.cit., p. 137. ↩︎

  31. Ibid., p. 126. ↩︎

  32. Ibid., p. 121. ↩︎

  33. Ibid., p. 303. ↩︎

  34. Ibid., p. 134. ↩︎

  35. Ibid., p. 145. ↩︎

  36. Ibid., p. 149. ↩︎

  37. Ibid., p. 136. ↩︎

  38. Ibid., p. 139. ↩︎

  39. Ibid., p. 191. ↩︎

  40. Ibid., p. 193. ↩︎

  41. Ibid., p. 195. ↩︎

  42. Ibid., p. 219. C’est ce manque de rigueur sur les exemples et les exposés théoriques utilisés pour les soutenir qui font que Carrel en vient à se contredire : il constate en même temps la prédominance de la foule dans le monde moderne et l’isolement de l’individu par rapport à celle-ci, ou encore face à une trop grande régularité des repas, condamne les régimes tout en déplorant l’absence de jeûne dans la vie moderne. Nous reviendrons sur ce point dans la dernière partie de notre analyse. ↩︎

  43. Ibid., p. 325. ↩︎

  44. Ibid., p. 323. ↩︎

  45. Ibid., p. 156. ↩︎

  46. Ibid., p. 350. ↩︎

  47. Ibid., p. 364. ↩︎

  48. Ibid., p. 170. ↩︎

  49. Ibid., p. 176. ↩︎

  50. Ibid. ↩︎

  51. Ibid., p. 178. ↩︎

  52. Ibid., p. 180. ↩︎

  53. Ibid., p. 185. ↩︎

  54. Ibid. ↩︎

  55. Ibid., p. 299. ↩︎

  56. Ibid., p. 314. ↩︎

  57. Ibid., p. 199. ↩︎

  58. Ibid., p. 272. ↩︎

  59. Ibid., p. 35. ↩︎

  60. Ibid., p. 36. ↩︎

  61. Sur la variété des caractères du monde moderne et du monde ancestral, on pourra se reporter sur les tableaux synthétiques que nous en avons fait [en ligne à http://www.paulgossart.com/textesphilosophie/107-alexis-carrel-essentialisme-et-destruction-tableaux-synthetiques (consulté le 26/01/2016)]. ↩︎

  62. Ibid., p. 325. ↩︎

  63. Ibid. p. 322. ↩︎

  64. Ibid., p. 309. ↩︎

  65. Ibid., p. 203. ↩︎

  66. Ibid., p. 325. ↩︎

  67. Ibid., p. 110. ↩︎

  68. Ibid., p. 134. ↩︎

  69. Ibid., p. 281. ↩︎

  70. Ibid., p. 357. ↩︎

  71. Ibid., p. 283. ↩︎

  72. Ibid., p. 109. ↩︎

  73. Ibid., p. 177. ↩︎

  74. Ibid., p. 308. ↩︎

  75. Ibid., p. 330. ↩︎

  76. Ibid., p. 274. ↩︎

  77. Ibid., p. 351. ↩︎

  78. Ibid., p. 323. ↩︎

  79. Ibid., p. 280. ↩︎

  80. Ibid., p. 356. ↩︎

  81. Ibid. ↩︎

  82. Ibid., p. 357. ↩︎

  83. Ibid., p. 367. ↩︎

  84. Ibid., p. 359. Carrel souligne certes le rôle bénéfique du service militaire, mais ne décrit pas le dressage des enfants de cette manière. La liste des activités qu’il donne en exemple est cependant très équivoque. Ainsi que le but affiché dans la citation qui suit. ↩︎

  85. Ibid., p. 361. ↩︎

  86. Ibid., p. 348. ↩︎

  87. Ibid., p. 355. ↩︎

  88. Ibid., p. 353. ↩︎

  89. Ibid., p. 371. ↩︎

  90. Ibid., p. 353. ↩︎

  91. Ibid., p. 348. ↩︎

  92. Ibid., p. 344. ↩︎

  93. Ibid., p. 173 ↩︎

  94. Ce terme, dont le temps – le participe futur – n’existe pas en français, permet de considérer le futur de l’entité comme toujours déjà prévu. Si elle sera, ce sera déjà prévu et de manière identique à son passé, puisque l’intégralité de l’entité est déjà fixé par avance. Elle ne sera jamais de manière différente, mais toujours comme ayant-toujours-été ainsi. Son futur est ainsi entièrement réduit à une « nature » : nature du Juif, de l’Aryen, du Français-Gaulois. ↩︎

  95. Voir DRUMONT Édouard, Sur le chemin de la vie (souvenirs), Paris, G.Crès, 1914, p. 265-303. On en trouvera un résumé dans WINOCK Michel, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, éd. du Seuil, 2004, p. 75. ↩︎

  96. Carrel cite rarement les auteurs qu’il reprend, et ne fait souvent qu’énoncer une suite de faits qui doivent être pris comme des vérités. Il tombe ainsi dans cette illusion qui consiste à croire que les théories découlent des faits et non d’autres théories. La vérité et le savoir véritable sont, pour lui, intemporels et anhistoriques. ↩︎

  97. ANDERS Günther, L’obsolescence de l’homme : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, 1956, Trad. de l’allemand par Christophe David, Paris, Encyclopédie des nuisances, coll. Ivrea, 2002, p. 189. ↩︎

  98. ANDERS Günther, Ibid., p. 190. ↩︎

  99. KLEMPERER Victor, Je veux témoigner jusqu’au bout. Journal 1942-1945, Paris, Seuil, 2000, p. 471. ↩︎

  100. KLEMPERER Victor, LTI, la langue du IIIe Reich : carnets d’un philologue, trad. de l’allemand par Elisabeth Guillot, Paris, Albin Michel, 1996, 375 p. (EO : LTI Notizbuch eines Philologen, Berlin, Aufbau-Verlag, 1947) ↩︎

  101. TETART Philippe, « la radio conquiert l’oreille des français » [en ligne à http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=520 (consulté le 25/01/2016)]. ↩︎

  102. FAVRE Muriel, La propagande radiophonique nazie, Bry-sur-Marne, INA Éditions, 2014, p. 68. ↩︎

  103. HILBERG Raul, La destruction des Juifs d’Europe, t.1, trad. de l’anglais par Marie-France de Paloméra, André Charpentier et Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Gallimard, 2006, p. 102. ↩︎

  104. Voir sur cette efficacité WELZER Harald, Les exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse, trad. de l’allemand par Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, 2007, p. 19 ↩︎

  105. CHEVASSUS-AU-LOUIS Nicolas, Savants sous l’occupation : enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944, p. 151. ↩︎

  106. Ibid. ↩︎

  107. Ibid., p. 151-152. ↩︎

  108. Ibid., p. 152. ↩︎

  109. Le PPF a revendiqué son adhésion au parti, ce qui semble être en vérité incertain (voir DROUARD Alain, Alexis Carrel (1873-1944) : de la mémoire à l’histoire, p. 151.). ↩︎

  110. Ibid., p. 153. ↩︎

  111. Ibid., p. 155. ↩︎

  112. Ibid., p. 156. ↩︎

  113. MARCUSE Herbert, The New German Mentality in Technology, war and fascism, Taylor & Francis e-Library, 2004, p. 141. ↩︎

  114. La totalisation – qui ne dit pas son nom mais qui en prend la forme – est ici tout sauf dialectique : elle est abstraite et hors de l’histoire ; en revanche, elle se présente comme nécessaire face au succès des sciences de l’inanimé et de la matière, basées sur le modèle mathématique, ce qui est partagé avec d’autres autres auteurs qui, eux, utilisent un concept dialectique, comme Lukàcs. ↩︎

  115. Voir WINOCK Michel, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, éd. du Seuil, 2004, p. 323-348. ↩︎